On tient le bon bout

Six lettres de plus et mon abécédaire de la biographie et de la mémoire s'achemine gentiment vers la fin. Encore une petite semaine et c'est la quille. Enjoy. Après, ça va vous manquer.

O… Oralité

Ça ne vous a pas échappé. Je prends quelques libertés avec la langue française. J’abuse des verbes faibles et des adverbes qu’on est censé chasser dans ses textes. J’oublie la moitié des négations. Entre parenthèses, j’ajoute des digressions à n’en plus finir (comme dans la vie). Sans compter les expressions familières. Bref, j’écris comme je parle.

📣 Même si j’en avais l’intention, je ne pourrais pas rivaliser avec le neveu du chien de la voisine de ce bon vieux Honoré de. Mais quand même. Avec ma casquette de journaliste, c’est pas comme ça que j’écris.

L’oralité quand on explique ce qu’on pense, quand on parle de soi, je trouve à tort ou à raison que ça apporte un petit plus. Bien sûr, dans cet abécédaire c’est ma voix que je donne à entendre. Écrire pour les autres, c’est essayer de trouver la leur.

P… Podcast

C’était un peu obligé. Mais après avoir chanté les louanges du livre, je ne vais pas prétendre tout à coup qu’un podcast familial vaut mieux qu’une biographie ou qu’un recueil collectif de souvenirs. Cette année, j’ai testé les trois options…

📗 biographie 
💡 récits de vie à l’écrit 
🏠 récits de vie en podcast

… Je ne trancherai pas entre elles. On a du temps pour lire. On a du temps pour écouter.

Peut-être la voix apporte-t-elle une émotion supplémentaire ? En tout cas, « émotion », c’est un mot que j’ai beaucoup retrouvé dans les messages qu’on m’a envoyés depuis le publication du podcast pilote il y a deux mois. Y compris parmi ceux qui ne connaissent pas ma famille, mais ont replongé dans leurs propres souvenirs.

🎧 Ce jour est l’occasion ou jamais de vous refaire l’article sur mes trois formules de podcast sur mesure :

🍳 Plat du jour
🥗 Entrée-plat
🦞 Entrée-plat-dessert

PS : Je n’étais pas assez dispersé comme ça. Voilà que lundi, j’ai commencé un nouveau job : prof de podcast (sur six séances pour des étudiants en infocom).

🎶 C’est un métier ! Sur la partie théorique et le temps d’écoute, c’était pas mal je crois. A part deux trois (sur trente-sept), j’ai l’impression que les jeunes ont été attentifs et intéressés. Ça s’est gâté quand je me suis rendu compte qu’aucun n’avait de casque pour commencer le bidouillage sur ordi (le message n’était pas passé). Pas très pratique, mais on fera mieux la prochaine fois !

Q… Quotidien

De quoi parle-t-on dans une biographie ? D’événements qui ont jalonné sa vie, bien sûr : une rencontre, un mariage, la mort d’un proche. Mais l’enjeu est aussi de chercher le quotidien, le récurrent, l’insignifiant, les frites du dimanche midi, les tours de vélo dans le quartier, l’oseille dans le jardin… Et puis tout ce qui est inimaginable aujourd’hui surtout : se laver dans un tub ou être obligé d’aller chez ses voisins pour téléphoner par exemple.

👨‍🦯‍➡️ Il est plus facile de raconter la naissance du petit dernier ou ses souvenirs du 11 septembre que de convoquer le quotidien. La question « qu’est-ce que vous faisiez de vos journées à quinze ou à quarante ans ? », ça ne fonctionne pas.

C’est sans doute ça l’intérêt de la discussion. Une image en appelle une autre. On tâtonne. On cherche ensemble. Généralement, on trouve !

R… Relecture

Il existe deux écoles chez les biographes. J’ai écrit plus tôt dans cet abécédaire qu’il était important de trouver « la voix » du narrateur.

Pour les uns, cela passe par l’écoute répétée. C’est l’enchaînement des échanges qui permet de bien connaître celui pour qui on écrit et donc de trouver sa voix. Le temps est un allié.

 

Aide à écrire

Pour les autres, cela passe par la relecture tout simplement. Je tente quelque chose, je fais relire, j’interroge ou je prends note des éventuelles corrections, et j’en tiens compte la fois suivante. Le narrateur est davantage acteur et peut du reste emprunter une voix qui n’est pas la sienne, plus écrite par exemple.

🪞 Cette méthode a des effets collatéraux : « les uns » ont plutôt tendance à rendre leur texte quand les échanges sont terminés tandis que « les autres » peuvent proposer une relecture après chaque séance.

Je suis un autre (comme dirait Georges Moustaki – ça devient n’importe quoi ces références musicales), mais ma foi est vacillante. Peut-être qu’un jour, je changerai de religion. Ou du moins, que je proposerai les deux options.

 

S… Souvenirs oubliés

« Je vous (te) préviens, je ne me souviens pas de grand-chose ».

Ça ne fait pas si longtemps que je suis biographe, mais je ne compte déjà plus le nombre de fois où j’ai entendu cette phrase.

😶 Le plus amusant a été mon travail pour Actee. Je vous la fais courte : je suis sur un salon professionnel et je demande à des élus locaux et à des agents de collectivité de me raconter des souvenirs d’enfance en lien avec l’énergie et un bâtiment public.

Selon la tête de mon interlocuteur, je pose ma question en cinq secondes ou je brode pour lui laisser le temps de réfléchir. Quand ses yeux s’alignent, c’est qu’une image est arrivée et qu’on peut y aller.

🌬️ Vient cette phrase donc : « je vous (te) préviens, je ne me souviens pas de grand-chose ». Au bout de quelques minutes, il arrive que ce soit moi qui sois obligé d’arrêter l’échange parce qu’une image en appelle une autre et que mon vis-à-vis n’a plus envie de s’arrêter.

Je me souviens en particulier d’un gars qui ne voulait pas s’asseoir puisqu’il n’avait aucun souvenir m’expliquait-il. Sauf qu’il parlait, il parlait et moi, je ne pouvais pas prendre de note. Au bout d’un moment, il a compris par lui-même. Il s’est assis. Il a son paragraphe dans le recueil.

 

T… Traumatismes

Faut dire ce qui est. C’est la petite maison dans la prairie cet abécédaire. On y croise davantage de fleurs des champs que d’ogres mangeurs d’enfants, d’instants magiques que de morts tragiques, de souvenirs de vacances que de moments de violence.

👩‍⚕️ Les traumatismes ont aussi leur place dans une biographie. Parfois, ce sont même eux qui donnent envie de l’écrire parce que c’est dur de se taire et qu’on a besoin que les autres sachent. Ou parce qu’on se rend compte en disant que ce n’était qu’un caillou dans la chaussure.

Si la parole a des vertus thérapeutiques, le biographe est un secouriste. En écoutant l’autre, il peut soigner les petits bobos. Mais un secouriste n’est pas un médecin. Un biographe n’est pas un psychologue. Poser des questions et écouter ce qu’on a à nous dire, oui. Insister quand on sent que ça fait trop mal, non. Pas question d’ouvrir des plaies qu’on ne saurait pas refermer.

L'heure de la prose

Olivier Descamps Journaliste, Plume, Biographe

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