Chronique pointilliste

Je ne vais pas m’improviser critique littéraire, mais quand une fiction raconte mieux la réalité que la réalité elle-même, elle mérite qu’on s’y arrête un instant. Dans « du même bois », Marion Fayolle consigne la mémoire du monde paysan. Un coup d’essai. Un coup de maître.

Comment qualifier ce roman ? Disons que c’est une chronique familiale pointilliste. Ses personnages sont survolés et n’ont pas grand intérêt en eux-mêmes. Ensemble par contre, ils racontent les hameaux de moyenne-montagne comme si vous y étiez : la ferme qui traverse les générations, le jeu de chaise musicale qui fait qu’en un instant, la gamine se réveille mémé, qu’on lit sur le visage des autres ce qu’on va devenir soi-même, les anciens qui ne comprennent pas ce monde immobile qui se met tout à coup à changer sans eux, la nature indéboulonnable malgré tout.

Du même bois

L’histoire se déroule en Ardèche. Elle est universelle. Et pour qui a la prétention de raconter la vie de gens qui se confient, c’est une lecture qui réjouit autant qu’elle assomme. Je rêve de biographies à écrire dans le Haut-Jura, mais je ne dirai jamais aussi bien les veaux qui découvrent que le sol se mange à la fin de la trêve hivernale, la mort des lapins qu’on ne cache pas aux enfants pour qu’ils s’habituent, la vie à l’étable, à l’écurie, dirait-on dans le Jura.

Vingt dieux

Certaines envolées lyriques avancent sur le fil du rasoir ; entre le niais et le sublime. Certains trouveront peut-être que ça bascule du mauvais côté. Moi, non. J’adore ce type de phrases pour évoquer une soirée dansante : elle « n’a pas le sens du rythme, préfère rester en bordure de la fête, sentir juste les éclaboussures ». Ça me parle tellement ! J’aime aussi cette idée que quelqu’un choisisse de perdre la tête pour oublier sa peur de mourir.

Petit coucou à ma sœur qui a fait des bons choix cette année à la Noël (je suis en train de terminer « Les oubliés du dimanche », pas mal aussi dans le genre quête de mémoires). Quel plaisir ces lectures de week-end auxquelles on ne s’attend pas et durant lesquelles vous vous surprenez à sourire bêtement, voire à pousser des soupirs quand vous venez de vous prendre une phrase en pleine face. En quelques semaines, j’ai découvert Louise Courvoisier et son film « Vingt dieux », crochet du gauche ; et donc « du même bois » de Marion Fayolle, crochet du droit. On a quand même de sacrées jeunes autrices capables de nous parler des campagnes reculées de manière à la fois réaliste et poétique. Un premier roman en plus. Gallimard, magne-toi de lui en commander d’autres.

L'heure de la prose

Olivier Descamps Journaliste, Plume, Biographe

Laisser un commentaire