Et ça continue encore et encore

Mais qu'est-ce qui m'a pris, suite. Dans mon abécédaire de la mémoire et de la biographie, cette semaine, une déclaration d'amour au Livre, une parenthèse sur la musique et une réflexion sur la nostalgie (contrairement aux apparences, pas de lien entre ces deux mots).

𝐈… 𝐈𝐧𝐭𝐞𝐥𝐥𝐢𝐠𝐞𝐧𝐜𝐞 𝐚𝐫𝐭𝐢𝐟𝐢𝐜𝐢𝐞𝐥𝐥𝐞

Préambule : cet article ne porte que sur l’écriture biographique. Les commentaires sur l’IA et la médecine ou l’archéologie, n’hésitez pas à les manger en salade.

🥶 Le Monde a publié il y a quelques jours un article qui montre que de nombreux scénaristes qui ne voulaient pas entendre parler d’IA s’y jettent désormais à corps perdu. Flippant.

De mon côté, j’ai publié dans Science et Vie une interview de l’artiste Caroline Zeller qui a été pionnière et a travaillé avec l’IA pour de grandes boîtes de la mode et du numérique. Elle en décrit son usage immodéré puis son virage à 180°. Réjouissant.

Intelligence artificielle

😲 À la CAE Bourgogne, nous avons eu un atelier hyper intéressant sur le sujet il y a quelques semaines. Deux tendances se dégageaient chez les participants :

Option n°1, dite du scénariste : suivre le mouvement et chercher comment utiliser l’IA dans son métier pour adapter son offre et être plus efficace dans ce qu’on propose

Option n°2, dite du gars prêt à changer de métier si on n’a plus besoin de lui : assumer le fait de tourner le dos à l’IA. Le crier haut et fort à la manière d’un paysan bio qui refuse les pesticides ou d’un fabricant de poêles sans PFAS

Je vous laisse deviner ma team.

𝐉… 𝐉𝐨𝐮𝐫𝐧𝐚𝐥

Une biographie ne peut pas ressembler à un journal qu’on aurait écrit au fil des années. D’abord parce que la mémoire est aléatoire. Surtout parce que la manière de rapporter des idées et des événements porte le regard du moment où l’on écrit

On a avec nous du recul et une expérience de vie. Contre nous des préoccupations qui ont évolué, des idéaux qu’on a abandonnés

👾 Je me suis toujours répété comme un mantra : ce n’est pas parce que tu as changé d’avis que c’est aujourd’hui que tu as raison. Pas facile bien sûr, d’autant que si on pousse l’idée trop loin, ça voudrait dire que la vie n’apprend rien ?!

Mais quand même. Ayons un peu de respect pour le pré-ado ou le jeune adulte qu’on a été. Il a des choses à nous dire. Peut-être même que ça sert à ça d’ailleurs une biographie ?

K… Kit

Attention, choix de mot un tantinet tiré par les cheveux. Après tout, je ne risque pas grand-chose si vous voyez ce que je veux dire. Et puis, allez trouver des mots en K, vous !

🥜 Il est indiscutable qu’un récit personnel ou collectif est une histoire en kit. Comme avec un meuble, l’enjeu est d’agencer correctement les propos recueillis pour qu’ils fassent sens… sachant que si vous commencez en mettant une vis de travers, tout part en cacahuètes.

Kiwis

Dans mon podcast familial, vous ne pouvez pas savoir le temps que j’ai perdu à déplacer telle anecdote dans un autre épisode, à l’inverser avec une autre, à la remettre à l’endroit où elle se trouvait au départ…

🪚 Un podcast en kit quoi.
C’est bon, ça passe ?

Le mot auquel vous avez échappé : kiwi. Certes la récolte a été bonne. Certes, écrire son histoire, c’est accepter les pas de côté qui donnent de la saveur au récit. Mais y a des limites !!

𝐋… 𝐋𝐢𝐯𝐫𝐞

Je le concède. Comme beaucoup d’autres – vous peut-être ? – je suis un obsédé textuel. Je collectionne : les petits formats, les bien dodus, les qui sentent le chien mouillé, ceux dont l’odeur d’imprimerie si caractéristique chatouille le bout du nez.

⚖️ J’aime faire des piles à lire et des piles déjà lues, classer par affinités selon une logique que même moi, je comprends à peine, ajouter une étagère, puis une autre, puis une autre, puis une autre.

Au fond, je suis un matérialiste. La liseuse, beurk. J’ai besoin de soupeser, de tourner les pages, de reconnaître les collections, de glisser des marque-pages improvisés et des petits papiers qui m’aident à retrouver les jolies phrases que je compile après coup dans un vieux cahier.

Les livres que j’aime d’amour ont une place de choix dans les rayons. Mais ils doivent supporter la cohabitation. Les petits jeunes ne respectent pas leurs aînés. Nom d’un chien, on n’aurait pas vu ça de notre temps. ils ont pourtant la vie devant eux ces premiers romans. Qu’ont-ils fait de nos imparfaits du subjonctif ?

Qu’ils fassent tous bien attention. Surtout les bons. J’aime les regarder, mais jamais longtemps car je les cède sans vergogne à une personne de passage. Je les achète une fois, deux fois, trois fois, c’est infini. Je n’ai aucun respect pour ceux qui me lassent et que je ferme, blasé, au bout de dix ou de cent pages.

🚋 Je ne lis pas vite (je rêvasse trop), alors je lis beaucoup. Chaque année, il y a ce moment où je n’y arrive plus. En 2025, c’était au début de l’été. L’an dernier, à l’automne. Un livre qui me résiste et que je ne me décide pas à lâcher, l’état d’esprit du moment, on ne sait jamais trop. De toute façon, ça ne dure pas. Ensuite, je me rattrape. Je lis dans les transports, les salles d’attente, au coin du feu, dans mon duvet sous la tente. J’aime, par dessus tout, plonger la main dans une boîte à livre et entrer dans une librairie. Quand je me réincarnerai, c’est ça que je ferai : libraire.

J’aime suivre pas à pas quelques auteurs contemporains et découvrir après tout le monde un écrivain mort depuis des lustres. Un archéologue qui tombe sur un trésor.

J’aime les livres qui font rire, mais ils sont rares. J’aime ceux qui bouleversent et ils sont nombreux. J’aime les romans cyniques, des exutoires pour ne pas le devenir. J’aime les livres qui m’emmènent ailleurs, les livres des grands espaces et même ceux des petits…

Je devine la fierté d’avoir un livre à son nom. Le livre de sa vie, comme disent certains biographes. Je mesure la chance d’avoir choisi un métier qui me permet de les accompagner.

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𝐌… 𝐌𝐮𝐬𝐢𝐪𝐮𝐞

Avec un « M » comme métaphore, allons-y gaiement et tant pis pour les musiciens qui ne manqueront pas de se retourner dans leur trombone.

Voilà ma thèse : si le roman est une symphonie, la biographie est un concerto. Une voix au cœur du récit et pour le magnifier, un accompagnement fait d’histoires de famille, de vacances à la montagne, de vie dans les années 50 ou 80.

🪈 Reste à choisir l’instrument : le violoncelle quand les événements à rapporter sont lourds, le piano quand on met l’accent sur les souvenirs heureux, deux violons quand l’histoire se raconte en couple, le pipeau si on la réécrit un tantinet

Et que se passe-t-il quand un narrateur évoque des souvenirs heureux, des événements lourds et qu’il aime bien enjoliver, me demanderez-vous ?! Ouais bon là, c’est une symphonie. Ça ne marche pas mon truc.

𝐍… 𝐍𝐨𝐬𝐭𝐚𝐥𝐠𝐢𝐞

Me voilà fort étonné. Mon ami Robert (Le petit, de son prénom) définit la nostalgie comme un regret obsédant, un désir insatisfait. Son cousin Larousse, comme une tristesse vague causée par l’éloignement.

🥸 Il est indéniable que pour certains, la nostalgie se résume à ça. Et même que ce rappel permanent à un passé idéalisé confère à la haine du temps présent, à une forme de frustration de la vie, à un refus de vieillir loin du bon vieux temps.

Mais quand même, ça peut être doux aussi le passé. Parfois, je me demande presque si le présent ne sert pas d’abord à se fabriquer des souvenirs pour le reste de la vie ! La nostalgie, c’est aussi se souvenir des belles choses, comme dirait Gaëtan Roussel.

♻️ Vu que mes dicos sont des vieux croûtons, j’ai jeté un œil à la définition plus récente du Larousse en ligne qui évoque, quant à lui, un « regret attendri ou désir vague accompagné de mélancolie ». Ah, là, d’accord. Je préfère.

Si on veut qu’ils nous fassent du bien, on a le droit de faire le tri dans ses souvenirs. On a le droit aussi de faire le tri dans les vieilles définitions des dictionnaires.

PS : si une seule personne a tout lu, je l’informe qu’il est 18h30 et que ce dimanche est donc terminé.

L'heure de la prose

Olivier Descamps Journaliste, Plume, Biographe

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