Se souvenir ensemble

On ouvre toujours un livre en espérant qu'il va nous cueillir dès les premières lignes avec quelques phrases nous disant : « toi mon petit gars, tu ne vas pas me lâcher et je vais te hanter un moment ». Mais bien sûr, ça n'arrive pas tous les quatre matins. Quand on en attend trop d'ailleurs la douche peut être frisquette.

C’est dimanche, on a le temps alors je vais vous donner deux exemples : d’un essai qui m’a franchement déçu et d’un podcast qui m’a embarqué sans prévenir. Le premier, c’est celui des Askolovitch, mère et fils. En entendant Evelyn et Claude à la radio, j’ai couru chez mon libraire. J’ai adoré leur démarche et ce titre si simple qu’ils ont trouvé : « se souvenir ensemble ».

Se souvenir ensemble

Evelyn est une rescapée de la Shoah et un jour, elle s’est mise à raconter son histoire à tout le monde… à tout le monde sauf à son fils qui n’a pas compris pourquoi elle était soudain si volubile. Lui, il préférait la maman « normale », celle qui taisait son passé, ses souffrances, ses questions. Un jour, Claude se rend compte que même son fils en sait plus que lui sur sa maman. Ils se mettent alors à parler, à écrire, à se souvenir ensemble pour écrire l’histoire familiale et donner du sens à ce qui n’en a pas.

En relisant mon paragraphe, j’ai presque envie de reprendre le livre. Elle est quand même chouette cette démarche. Et pourtant, il m’est tombé des mains – quelques dizaines de pages et puis s’en va. Claude parle de tout et de rien et j’ai eu envie de lui dire : « tu sais coco (ouais, Claude est journaliste. Entre journalistes, on s’appelle coco, c’est bien connu), ton histoire, je m’en fous quand même un petit peu. Parler en même temps de judaïsme, de foot et de cuisine hollandaise, ça fait sens pour toi, mais pour nous, ben… pas trop en fait ».

Ne pas perdre le fil

C’est pour ça, au passage, que je préférerais écrire des biographies d’anonymes que des mémoires de personnalités qui croient que le moindre événement vécu mérite une place dans l’histoire nationale. Cet écrit Askolovitch, il doit être génial pour les personnes de la famille qui tombent dessus. Ça ne veut pas dire qu’il fallait le publier. Si le gars ne bossait pas sur France Inter, il n’aurait jamais été édité (là, ça se sent le fiel du gars qui n’a pas réussi à se faire éditer ou pas ?).

Place à mon vrai conseil maintenant. Et là, je salue une journaliste qui a appliqué ce même concept, « se souvenir ensemble », dans un podcast dont le résultat est, me semble-t-il, bien plus passionnant. Pour nous emmener dans son histoire de famille, Anissa Rami a posé une question simple en apparence à son père : « tu es né quand ? ».

Sur ses papiers, Ahmed peut lire « 1er janvier 1953 ». Mais il sait qu’il n’est pas né un 1er janvier (contrairement à ma mère, coucou maman) et il est persuadé qu’il est plus jeune. Dans son village d’Algérie, les années n’avaient pas beaucoup d’importance. On s’attachait plutôt aux saisons. Et à la préfecture, on ne s’embêtait pas et on estimait que tous les immigrés qui arrivaient en France étaient nés un 1er janvier.

Je ne vais pas divulgâcher. Si vous voulez savoir ce que donne cette quête, c’est là que ça se passe. Ce qui est sûr, c’est qu’en bonne journaliste, Anissa Rami a respecté la recette du métier : trouver un angle et s’y tenir. Elle s’autorise de nombreux pas de côté qui font l’intérêt de ce travail bien sûr, mais elle ne perd pas de vue son angle. C’est comme ça qu’elle nous embarque, qu’elle nous apprend plein de choses, qu’elle nous transmet ses émotions. Voyage garanti dans le temps et dans l’espace.

L'heure de la prose

Olivier Descamps Journaliste, Plume, Biographe

Cet article a 4 commentaires

  1. Pascale

    Olivier… On t’a perdu d’un côté, on te retrouve de l’autre. Ce rendez-vous dominical est un vrai bon moment. Je te vois parler en lisant ta « prose ». Jusqu’au bout. Sans laisser tomber l’iPhone des mains. Merci encore et ne t’arrête pas !

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