Retour aux fondamentaux. Je vous ai vendu une lettre sur les récits biographiques et voilà que chaque semaine, je vous conseille des podcasts à écouter. Par dessus le marché, une fois sur deux, c'est pour vous parler de mon propre podcast (certes passionnant, « la vie sans mobile », sur toutes les plateformes). Revenons à l’écrit avec mon bilan de la mémoire 2024. D’autant que je me rends compte que je ne vous ai toujours pas fait l’article sur MA lecture de l’année : Alias Caracalla, de Daniel Cordier.
Reprenons tout dans l’ordre. Côté introspection, je l’ai déjà écrit, je crois qu’il est difficile de faire mieux que Sorj Chalandon avec son inédite tétralogie (enfin, plus ou moins). Chez Biographicus (mon association de biographes), le journaliste-écrivain a d’ailleurs longtemps été pressenti pour préfacer un ouvrage collectif à paraître. Certes davantage pour La légende de nos pères, livre qui raconte l’histoire d’un journaliste qui devient biographe et que je n’avais pas lu quand j’ai écrit mon article en mars. Mais à mon goût, ce roman n’est pas le meilleur qu’il ait écrit sur la mémoire. Les quatre autres récits sont en revanche des modèles de réflexions sur ses pères, son héritage, les sentiments ambivalents qui nous rattachent à notre famille (la sienne est particulièrement gratinée).
Je passe plus vite sur l’ouvrage des Askolovitch dont j’avais adoré la démarche, mais qui m’avait déçu. Je ne reviens pas sur les histoires que j’ai écrites moi-même sur l’entrée au CP de quelques proches. Je vous laisse farfouiller dans mes archives si vous souhaitez les retrouver. Ça, c’était mon propre témoignage. Je ne réécris pas enfin ma critique subjective de La carte postale d’Anne Berest. Plusieurs d’entre vous connaissaient déjà. Plusieurs d’entre vous ont suivi mon conseil. Plusieurs d’entre vous m’ont remercié et ça fait bien plaisir.
Daniel Cordier, un maître
Allez. Venons-en à Alias Caracalla. Cela fait des années que je tourne autour de ce récit autobiographique dont je connaissais l’essentiel par un téléfilm et une série d’interviews. À sa sortie en 2009, j’ai été subjugué par les cinq entretiens que son auteur, Daniel Cordier, avait consacrés à François Busnel sur Inter. Ce vieux monsieur me semblait plus jeune dans sa tête que la plupart d’entre nous. Ex chantre de l’Action française (autrement dit facho de première), ex révolté de 17 ans décidé à « tuer du boche », ex résistant en chef (ah oui, je ne l’ai toujours pas écrit, Daniel Cordier a été propulsé secrétaire particulier de Jean Moulin durant la seconde guerre), ex figure de la gauche intellectuelle des années 70, cet homme est sans concession avec lui-même. C’est peut-être bien cela d’ailleurs le propre des grands auteurs. Les écrivaillons font parfois de jolies phrases, mais ils n’ont rien à dire. Les grands écrivains sont sans concession… ce qui ne les empêche pas parfois d’avoir des idées moisies (coucou Michel Houellebecq) ou d’être de pauvres types (je viens de refermer Un roman russe d’Emmanuel Carrère, un bel exemple d’authenticité qui ne rend pas le bonhomme sympathique. Oui, tu es malheureux et tu as le droit de l’écrire, gars, mais il y a trop de victimes collatérales dans ton histoire alors ne nous demande pas de te plaindre toi).
Je m’égare. Et vous avez le droit de démonter en commentaires cette analyse littéraire free style qui débarque sans crier gare et qui, selon l’expression consacrée, n’engage que ceux qui y croient. Ce pas de côté avait quand même un objectif : remarquer que Daniel Cordier est un rare exemple d’homme sans concession dont le parcours est un modèle de vie.
Quinze ans pour s’attaquer à un livre dont on se doute qu’il va nous plaire, c’est beaucoup, me direz-vous. Je vous avoue que ses mille pages m’ont longtemps intimidé. Elles sont finalement passées à toute vitesse. Je les ai lues comme un thriller. La guerre pour les nuls vue de l’intérieur. Une revisite de notre mémoire commune à travers les pas d’un homme au cœur de la bataille. Une accumulation de faits et d’analyses subtiles sur la complexité de la société française à cette époque (ça on connaît), mais aussi sur la complexité de la résistance elle-même (ça on maîtrise moins). Un bon exemple de ce qu’est un travail autobiographique : ne parler que de soi et décrire le monde tout en même temps.
PS : si vous avez raté la rétro podcasts, c’est là.