Le libraire du coin

Il n’est pas encore inscrit sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco, mais ça ne saurait tarder tant il est évident qu’on ne pourrait pas vivre sans lui ; j’ai nommé le libraire du coin. Celui dont les fameux conseils ont sur toi un super-pouvoir contre lequel ce n'est pas la peine de lutter.

Exemple il y a quelques semaines au Grenier fort de Saint-Laurent-en-Grandvaux. J’entre pour poser des cartes de visite de biographe pour les clients, on m’explique que malheureusement, il n’y a pas de place sur le présentoir et pas rancunier, je repars avec un livre dont je n’ai jamais entendu parler (contrairement à vous tous bien sûr lecteurs cultivés) : La carte postale, d’Anne Berest. Une écrivaine dont j’apprends pour l’occasion qu’elle a quelques origines haut-jurassiennes (smiley biceps gonflé).

la carte postale et le libraire du coin

Pas de regret, le libraire du coin, en l’occurrence la libraire du coin, ne se trompe pas souvent. Le conseil était pertinent. Si toutes les histoires familiales méritent d’être consignées, j’ai déjà écrit ici que toutes ne méritaient pas d’être publiées. Voilà un contre-exemple parfait. Quand une grande écrivaine réalise une grande enquête sur des ancêtres si singuliers confrontés à des événements sans équivalent ; là, ça fait des étincelles. Anne Berest décrit sa famille avec cette jolie phrase : « un bouquet trop grand que je n’arrive pas à ternir fermement dans mes mains ». C’est sans doute ça qui fait l’intérêt de son écriture : elle ne maîtrise rien et on avance avec elle. C’est fragile. C’est incertain. C’est beau.

Je ne vais pas faire trop long. D’abord parce que je ne suis pas critique littéraire. Surtout parce que moi aussi j’ai le droit de profiter du viaduc du printemps, non mais. Je note toutefois que comme l’avait fait Colombe Schneck dans La Réparation, Anne Berest montre qu’on peut être née bien après la guerre et avoir un regard nouveau à proposer sur la Shoah. Au sortir du carnage, on a estimé qu’il fallait passer à autre chose et ne pas prendre la tête aux jeunes générations avec des malheurs qui ne les concernaient pas. La guerre est un truc dont on parle à l’école ou dans les musées. Pas en famille.

Les deux autrices montrent que dans certains cas, le cadeau est empoisonné. Parce que le passé est trop chargé. Comme un boomerang, il finit par revenir avec une puissance décuplée. Qu’on le veuille ou non, il « continue de vivre en nous », disait l’écrivaine dans cette interview à la sortie de son livre. Dans son roman, elle laisse entendre à plusieurs reprises que cette enquête lui permet de se sentir plus légère. De fait, nous aussi on se sent légers. Ce livre ne se lit pas comme un ouvrage d’histoire pesant, mais comme un thriller qui nous emporte.

PS : il va sans dire que le premier qui achète ce roman sur Amazon, je le lui fais manger avec son chapeau.

L'heure de la prose

Olivier Descamps Journaliste, Plume, Biographe

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