Des femmes lumineuses

Je n’ai jamais été de ces gens qui offrent des livres sans les avoir lus (même si je concède que parfois ça marche, cf ma chère maman qui, l’an dernier, m’a fait découvrir Sandrine Collette grâce aux cadeaux mystères de la librairie Grangier (triple cœur avec les doigts)). Mais là, je vous préviens, l’hôpital va carrément se foutre de la charité puisque je vais conseiller de lire un roman dont je n’ai pas même fait semblant d’ouvrir la première page. J’ai une petite excuse. Il n’est pas traduit. Or l’anglais et moi, on n’est pas très copains.

Le livre en question, c’est « The Radium Girls » de Kate Moore. Dans le podcast éponyme, l’autrice raconte le courage et le sacrifice de ces femmes lumineuses, au sens propre comme au sens figuré. Leur histoire commence aux États-Unis il y a un peu plus d’un siècle. Payées pour peindre avec précision des aiguilles de montres, ces « filles pleines de vie » s’estiment chanceuses. D’abord parce que pour l’époque, elles gagnent bien. Surtout parce que la fluorescence du radium qu’elles manipulent fascine le monde.

J’ai retiré ce radium de la pechblende
Et j’ai brûlé mes doigts à ce feu défendu
Ô paradis cent fois retrouvé reperdu
Tes yeux sont mon Pérou ma Golconde mes Indes.

(Inutile de préciser que ce n’est pas de moi. Le premier qui trouve de qui c’est sans copier-coller les vers dans un moteur de recherche gagne toute mon estime)

Radium girls

Quand les radium girls rentrent chez elles, on dit « tiens, v’là les revenantes ». Elles brillent comme des fantômes. Quand elles ont prévu d’aller danser, elles enfilent leur plus belle robe pour travailler. Le soir, elles rayonnent sur la piste. Nous sommes dans les années folles. Folles oui.

La gueule de bois des radium girls

Parce que l’envers du décor finit bien sûr par percer. Le radium, c’est de qui a tué Marie Curie par exemple. Alors tremper en permanence son pinceau de radium entre les lèvres pour l’effiler, à la longue, c’est pas gégène. À l’usine, on finit d’ailleurs par donner des chiffons aux travailleuses (qu’on leur retire rapidement parce que ça gâche de la poudre, on plaisante pas avec ça). L’intoxication se manifeste après cinq ou six ans : dents qui tombent, os qui se cassent en morceaux, c’est ballot.

Ensuite, du classique : ingénieurs qui se font passer pour des médecins et estiment qu’il n’y a pas de problème, experts pris le conflit d’intérêt dans le pot de confiture qui trouvent à certaines femmes d’autres causes de maladies (celle-là à la syphilis, normal, elle n’est même pas mariée)… Quelques dizaines de décès plus tard, on finit par concéder que oui, bon, peut-être. Il faut dire qu’un médecin vient d’y passer après avoir manipulé du radium. Là quand même, faut pas exagérer. S’engagent alors des procès qui s’enlisent, quelques chèques signés pour étouffer l’affaire quand on ne trouve pas de vices de forme… La vie quoi. Next.

J’espère qu’un éditeur français (coucou Gallmeister) va s’atteler à traduire le livre de Kate Moore. Je suis sûr qu’incarnée par des personnages, cette fiction narrative doit nous faire toucher de plus près encore le sort de ces femmes. Heureusement, c’est de l’histoire ancienne tout ça. Fini le temps des cancers inexpliqués dont on ne cherche pas l’origine. Fini le temps des conflits d’intérêt. Fini le temps des scandales sanitaires sur lesquels on ferme les yeux parce que ça remettrait en cause trop de choses.
Plus sérieusement, la radioactivité des sites d’extraction d’uranium, le glyphosate, les PFAS, ça va faire de jolis romans dans un siècle.

PS : merci à Élisabeth, fidèle lectrice croisée dans la rue mercredi. Elle m’a tiré les oreilles et de ma léthargie. Si vous êtes arrivés au bout du texte, c’est grâce à elle. Qu’est-ce qu’on dit à Élisabeth ?

L'heure de la prose

Olivier Descamps Journaliste, Plume, Biographe

Cet article a 2 commentaires

  1. Stéphanie Frank

    Coucou Olivier, merci pour la recommandation ! Je ne connaissais ni le livre ni le podcast mais il existe une BD sur l’histoire de ces jeunes femmes, écrite et dessinée par l’autrice Cy, publiée chez Glénat il y a quelques années. Comme tu dis, heureusement que l’époque a changé, hein…🥴

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